Dialoguer pour reconstruire la confiance : le Québec, une référence en matière de débat public

L’accueil favorable par les populations s’avère aujourd’hui une condition incontournable de réussite des projets portés par les acteurs économiques et sociaux. Il suppose le dialogue avec les citoyens, condition de la confiance. Le Québec a très tôt compris l’importance de ce principe de participation.

Le Québec, un précurseur en matière de débat public

Confronté depuis longtemps à la nécessité de concilier son développement socio-économique et la préservation de l’environnement, le Québec a été précurseur en matière de participation du public. Dès 1978, le Bureau d’Audiences Publiques pour l’Environnement (BAPE) est créé. Cet organisme consultatif permanent a pour mission « d’éclairer la prise de décision gouvernementale dans une perspective de développement durable ». A cette fin, « il informe, enquête et consulte la population sur des projets ou des questions relatives à la qualité́ de l’environnement ». Il organise des séances publiques d’information où les promoteurs présentent leur projet, puis constitue une commission d’enquête et tient des audiences publiques. A l’issue de ce processus de consultation, le BAPE rend son analyse et ses recommandations au ministre du Développement durable.

Organisme novateur, qui a inspiré la Commission Nationale du Débat Public (CNDP) française créée en 1995, le BAPE a vu son rôle s’affirmer progressivement jusqu’à devenir un véritable pivot du débat public au Québec. En témoigne le mandat qu’il a reçu en 2010, dans un contexte de forte controverse autour de l’exploitation potentielle des gaz de schiste, de créer une commission d’enquête sur le développement de cette industrie et de tenir des consultations dans les principales régions concernées.

Les acteurs publics, une plateforme au service de la participation citoyenne

Le BAPE conçoit son rôle comme celui d’une plateforme au service d’une pratique vivante et largement partagée du débat public. Il encourage ainsi les entreprises à engager le dialogue avec les parties prenantes très en amont des audiences publiques. L’examen d’un projet par le BAPE devient ainsi l’aboutissement et non le point de départ du processus de consultation du public. Dans la même logique, le BAPE apporte son expertise en matière d’ingénierie du débat public aux collectivités territoriales souhaitant mettre en place des démarches de participation citoyenne.

Les collectivités territoriales adoptent elles aussi ce positionnement. Dès 2002, la ville de Montréal a créé l’Office de consultation publique de Montréal. Il s’agit un organisme indépendant de débat public qui joue un rôle de tiers neutre entre la population, les promoteurs et la ville. En 10 ans, l’OPCM a consulté les Montréalais sur une centaine de projets d’importance (reconstruction du Centre Hospitalier Universitaire de Montréal, l’agriculture urbaine à Montréal, renouvellement de l’antenne de diffusion de Radio-Canada…). L’Union des Municipalités du Québec (UMQ) a également rédigé un guide pour faciliter la multiplication et la formalisation des démarches de participation citoyenne.

Les entreprises québécoises, véritables « citoyens corporatifs »

Les entreprises québécoises sont également de plus en plus soucieuses d’associer les citoyens à leur activité et à leurs projets. La gouvernance démocratique est d’ailleurs l’un des principes fondateurs du mouvement coopératif qui occupe une place importante dans l’économie québécoise (3300 entreprises coopératives et mutuelles). Mais ce souci est désormais largement partagé par les grandes entreprises qui agissent en véritables « citoyens corporatifs ». Cet engagement n’est bien sûr pas désintéressé. Elles ont compris qu’elles ne pourront pas assurer la pérennité de leur activité si elles ne suscitent pas la confiance au sein de la population.  Aussi ne se contentent-elles plus d’obtenir la licence légale d’exploitation, c’est à dire une autorisation juridique d’exercer leur activité. Elles s’efforcent d’obtenir une « licence sociale d’exploitation » qui passe par la recherche d’un accueil favorable de leurs projets par la population. Celui-ci ne peut s’obtenir que par le dialogue permanent, condition de l’émergence de la confiance.

Le dialogue avec les parties prenantes n’est pas toujours aisé. Il nécessite une certaine capacité à « supporter la chaleur », pour reprendre l’image utilisée par l’UMQ. Aussi l’engagement systématique des entreprises québécoises dans cette démarche se traduit par une véritable professionnalisation qui s’appuie notamment sur :
1. L’adoption de politiques internes que les entreprises s’engagent à suivre pour favoriser l’acceptabilité de leurs projets (analyse précoce et minimisation des impacts environnementaux ; dialogue continu avec les parties prenantes…).Plusieurs grandes entreprises québécoises telles que Rio Tinto ou Hydro-Québec ont adopté cette démarche.
2. La création d’équipes dédiées à la conduite du dialogue avec les parties prenantes : c’est le cas de la direction Affaires et collectivités d’Hydro-Québec qui compte 9 équipes régionales (100 personnes) implantées partout au Québec et chargées des relations avec les élus, les associations, les groupes de citoyens.

La confiance de la population ne peut se construire qu’au travers d’une implication totale dans le temps et dans l’espace. Les entreprises initient donc « les relations avec le milieu », expression québécoise pour le dialogue avec les parties prenantes, le plus tôt possible. Celles-ci sont associées à toutes les étapes d’un projet, de sa conception à sa fin. Les entreprises privilégient par ailleurs la conduite du dialogue à l’échelon local afin de prendre en compte les spécificités du territoire et les attentes des populations locales. Cela est d’autant plus important au Québec qu’une grande part des projets d’infrastructures, notamment électriques, se développe dans des territoires où résident les populations autochtones.

Pour ses grands projets, tels que la centrale hydroélectrique dans la région de la Baie de Saint-James (projet à 5 Mds de dollars canadiens), Hydro-Québec conduit  ainsi un dialogue avec les parties prenantes qui peut durer de 5 à 15 ans. Il se traduit par la présence permanente sur place de dizaines de ses salariés et conduit à des aménagements substantiels du projet.

Une société civile sensibilisée et dynamique

Cette large diffusion de la participation citoyenne au Québec trouve aussi sa source dans l’existence d’une société civile sensibilisée à ces enjeux et qui joue un rôle moteur.

C’est le cas de l’Institut du Nouveau Monde (INM), une association spécialiste de l’ingénierie du débat public qui promeut depuis dix ans la démarche participative. Elle anime des débats sur de grands enjeux de société. Elle formalise et diffuse des méthodes innovantes pour conduire le débat public. L’une de ses spécificités est d’aller à la rencontre des citoyens dans un cadre informel, afin de faciliter leur participation. Elle a ainsi organisé des « caravanes citoyennes » ou encore des « cafés des âges » dans le cadre d’un débat sur le vieillissement de la population. Acteur reconnu, l’INM est régulièrement sollicité par des collectivités publiques pour être le garant neutre de processus de participation citoyenne.

De nombreux acteurs de la société civile favorisent l’éducation au débat public. Car le sentiment d’incompétence est souvent l’un des premiers freins à la participation. Pour le combattre il apparaît important de familiariser les citoyens au débat public, dès le plus jeune âge. L’INM organise ainsi tous les ans des universités d’été qui réunissent plusieurs centaines de jeunes. Le BAPE quant à lui a développé une « trousse pédagogique de simulation d’audience publique ». Bâtie autour d’un projet fictif de parc éolien, elle permet aux enseignants (secondaire, université) de contribuer à diffuser une culture du débat public.

Précurseur dans l’institutionnalisation de la participation du public, le Québec a désormais atteint une vraie maturité dans ce domaine. Il se distingue par une large pratique du dialogue avec les parties prenantes. Cela insuffle une certaine vitalité démocratique à la société québécoise. Cela permet aussi d’aborder avec une plus grande sérénité des débats à fort enjeu environnemental et économique, tels que l’exploitation des gaz de schiste. A l’heure où la défiance au sein de la société française a rarement été aussi grande et constitue un handicap pour son économie, le Québec offre quelques exemples de briques pouvant contribuer à reconstruire la confiance.

Timothée MANTZ, directeur d’hôpital, est membre de la mission 2013 de la FNEP dont le thème d’étude est « Prévention et maîtrise des risques sociétaux, une condition de la performance ». Article écrit à partir d’un voyage d’étude réalisé au Québec.

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