Faut-il réformer le pouvoir ?

Le pouvoir est une capacité à faire faire à d’autres ce que, d’eux-mêmes, ils ne feraient pas nécessairement. Comment poser des limites ?

Les rapports de la FNEP rappellent, à l’instar de Machiavel et de bien d’autres, que le pouvoir est affaire de vertu, à la fois sa force, sa limite et sa condition.

Pour échapper à son obsession pathologique – se maintenir et s’accroître -, il doit s’astreindre toujours à servir le bien commun plutôt que le sien propre, ou au moins avant le sien propre. Ceci induit qu’on ne peut diriger les autres, si l’on ne sait se diriger soi-même.

La qualité des hommes et femmes de pouvoir tient en ce qu’ils SONT, plus qu’en celle des systèmes qu’ils servent. Exercer un pouvoir, c’est révéler le talent des autres.

Les compétences associées sont donc d’abord sociales, c’est-à-dire relationnelles : prendre en compte la diversité culturelle et sociétale, maîtriser le temps, personnaliser l’animation, imaginer l’avenir pour, ensuite, lui donner vie.

La légitimité, dont l’exemplarité est le socle, en est la 1ère condition : sans elle, aucun pouvoir n’est durable. Le rapport 1999 y ajoute la communication, son instrument privilégié : sans sa maîtrise, le pouvoir disparaît.

Le sujet est sensible et ô combien actuel ! La forme prime-t-elle sur le fond ? Non ! Mais de sa qualité dépend l’adhésion sur le fond. Tout dirigeant, dont la mission est de donner le sens, le fait d’autant mieux qu’il est « verbal et relationnel ».

Par ailleurs, l’individu, pour « consentir à sa propre soumission » doit ressentir vis-à-vis de son organisation un sentiment d’appartenance et quelque fierté à participer à l’œuvre collectif.

D’où l’impérieuse nécessité d’ajouter au but économique de création de richesses un but culturel : une vision commune. Le dirigeant doit communiquer en toute clarté sur ce qu’est l’organisation, ce qu’elle sert, QUI elle sert, où elle va, et comment elle y va.

Ainsi ce message peut-il être compatible avec l’aspiration des individus à servir une cause. Il faut qu’il le soit aussi avec l’attente implicite ou explicite de l’opinion, ce qui est difficile lorsque l’émotion et l’image l’emportent. L’opinion, sous nos latitudes, est par principe favorable à la « partie dominée » ou perçue comme telle : le salarié, le consommateur, l’administré. Légitimer l’action par le droit ou la raison ne suffit pas.

Le risque est moral : donner la priorité à l’expertise d’influence sur la volonté de conduire l’organisation dans l’unique souci du bien commun.

Cette transmission de la vision, pour rencontrer l’attente d’une opinion si prête à mal juger l’action du pouvoir, peut-elle éviter l’écueil de la manipulation ? Il est tentant de plaire à son « public », en lui faisant d’irréalisables promesses, plutôt que de lui déplaire en évoquant les efforts à accomplir. Sur ce point, les rapports 1999 et 2004 insistent sur la nécessaire force morale du dirigeant qui, seule, peut le préserver de la tentation démagogique et encourager une dynamique qui révèle les talents, les repère, sait les former et les valoriser.

Elle s’appuie sur le dynamisme et la rigueur, l’esprit d’équipe et « une forte sensibilité au temps et à l’espace », c’est-à-dire un heureux équilibre entre réactivité et ouverture.

Comment marier cette exigence avec le goût français de « l’élitisme ou excellence solitaire » ? En France, on est brillant, voire magistral, mais, trop souvent, dans « la solitude de son bureau ». Or, seules « les pratiques déterminent la performance du pouvoir ».

Dans cet esprit, le rapport 1999 prône une meilleure transparence dans la répartition des pouvoirs à la tête des entreprises, et, s’agissant des très grandes, de son renforcement dans le domaine de la rémunération des dirigeants : salaires, stocks, retraites chapeau, avantages divers, parachutes très dorés…

Existe-t-il ce héros (ou bien sûr, cette héroïne) qui sait transmettre la vision sans (trop) l’embellir ? Qui, acteur volontaire du changement qui s’accélère, renonce aussi « à tout prévoir, à tout contrôler, à tout anticiper » ? « Plus de pragmatisme, moins d’idéologie »

J. Lesourne, alors directeur du Monde, mentor de la Mission 1989, le rappelle, dans sa préface au rapport : « il n’existe pas de vademecum du parfait petit manager», et « les modes successives ne sont que des impostures». Le management « est un art d’exécution ».

Ce rapport 1989 met en exergue un fort concept : la solidarité. Le pouvoir doit viser à créer de « nouvelles solidarités » entre les partenaires économiques et sociaux, entre les activités d’un groupe comme entre les personnes engagées dans un projet commun.

Quoi de plus pertinent aujourd’hui que cet appel à la solidarité ?

N’est-il pas temps, alors que nous vivons, dit-on, une crise des systèmes et des consciences, d’affirmer bien haut qu’exercer le pouvoir, c’est faire vivre des solidarités, pour mieux travailler ensemble, avancer ensemble, réussir ensemble ?

Sylvie Lainé, lauréate FNEP 1978, ex déléguée générale de la FNEP

Les rapports FNEP traitant du thème peuvent être obtenus auprès du secrétariat de la Fondation : secretariat@fnep.org

 

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